Du karma, de la réincarnation, et du lien entre les mondes spirituel et physique

. Le karma au sens de l’anthroposophie est une loi spirituelle concernant un lien de cause à effet, où cet effet est le retour de la cause sur la chose ou sur l’être qui l’a causé, l’être en question, au moment du retour de l’effet, devant être dans une certaine mesure le même qu’au moment de la cause. Il est également nécessaire qu’un certain temps s’écoule entre la cause et l’effet, la notion du karma exigeant une absence de prévision de l’effet par l’être causal. Et c’est cette absence de prévision ainsi que l’existence de l’effet sur l’être causal qui témoigne de l’existence d’une loi, fixant ledit effet.
Mais Steiner se défend de verser dans le fatalisme; car bien que le karma soit une loi absolue rendant impossible l’effacement d’une action donnée, bien que toute action appelle un effet ultérieur, l’Homme a la liberté de créer de nouvelles actions compensant – toujours suivant la loi karmique – les effets de l’action initiale. Steiner donne l’image du bilan, lequel étant négatif p.ex. n’empêche pas de par cet état la poursuite des affaires en vue de son redressement. Cette optique justifie de même une intervention compensatoire d’autrui, qui peut jouer le même rôle positif qu’une action appropriée de la part du sujet lui-même. Et c’est précisément ce phénomène où toute action prête à conséquence, qui devrait inciter les Hommes à agir dans le sens d’une aide réciproque.
La loi du karma concerne aussi bien l’individu que l’humanité, aussi bien la Terre que l’Univers, et Steiner insiste sur le croisement de tous ces courants karmiques, clef pour la compréhension des faits de la vie. Appliqué à l’échelle humaine, le karma est le destin que l’Homme lui-même se forge. Cette loi du karma n’est pourtant pas à rapprocher d’une sorte de déroulement inéluctable des faits. Par exemple les choses passées auraient très bien pu se dérouler d’une façon différente de celles qui arrivèrent réellement, sans que ce changement éventuel signifiât une négation du karma, tous les faits ayant un fonds spirituel étant de par cette propriété soumis à cette loi: une autre possibilité du déroulement des faits signifierait tout autant une nécessité que la première. Et Steiner ajoute que le karma n’exclut pas la liberté. Sur le plan du chemin initiatique de l’adepte, plus son corps éthérique se modifie sous l’action d’une éducation ésotérique, plus fort devient en lui la sensation du temps, la sensibilité aux courante temporels.
L’adepte commence alors à ressentir la sagesse divine pénétrer son corps éthérique, portée par un courant temporel porteur également de la vie. Mais la perception de ce courant temporel de la sagesse divine n’est possible que s’il est capable de développer un certain calme vis à vis de ce que lui apporte l’avenir, capacité de regarder avec calme et sans passion – excluant la sympathie et l’antipathie – son propre karma, capacité de ne pas s’insurger contre ce karma, aptitude pouvant être acquise grâce précisément au développement du corps éthérique dans le sens ci-dessus. Les deux faits – expérience et capacité – sont donc liés entre eux. Nous avons mentionné que la création des êtres rétrogrades avait pour but l’instauration de la liberté humaine. Cette création « commandée » fut en quelque sorte un sacrifice de la part des êtres ahrimaniens et lucifériens. Or ces êtres ont également leur karma qui consiste à se voir offrir en sacrifice par l’Homme un surcroît de sagesse et d’amour que celui-là devrait développer grâce à l’acquisition de la liberté, laquelle peut être acquise précisément grâce au sacrifice desdits êtres lucifériens et ahrimaniens. Ce phénomène dans le courant de l’évolution humaine est une sorte d’achèvement des deux courants karmiques, celui de l’Homme et celui des êtres spirituels supérieurs. Et c’est en cette production d’un surcroît de sagesse et d’amour que résidera la victoire humaine sur Ahriman et Lucifer. Une deuxième loi spirituelle exposée par Steiner est la loi de la réincarnation, l’évolution humaine passe par des existences terrestres répétées, chaque existence étant imprégnée des existences antérieures. La partie qui s’incarne est le moi, travaillant dans ses incarnations successives aux trois corps: les corps physique, éthérique et astral, pour amener dans les vies ultérieures les fruits ainsi constitués. Le sens des réincarnations réside dans les changements survenus sur la Terre, offrant à chaque incarnation de nouvelles conditions de vie, permettant à l’âme de nouvelles expériences. Les incarnations se suivant en moyenne au rythme d’une incarnation tous les mille à mille trois cents ans, offrent de par cette fréquence ce renouvellement des conditions terrestres: les incarnations sont donc intimement liées entre elles. Les réincarnations humaines sont toutefois un phénomène passager, mais indispensable pour l’évolution actuelle de l’Homme.
La loi de la réincarnation concerne également la Terre entre autres: les trois incarnations antérieures de la Terre sont désignées du non de « Saturne », « Soleil », « Lune » – les mêmes noms désignant les corps célestes actuels étant des homonymes -, celles qui suivront portent les noms de « Jupiter », « Vénus » et « Vulcain ». Ces incarnations de notre « Terre » jouent un rôle dans l’évolution des êtres dont ils sont porteurs. Ainsi le soleil et la terre actuels étaient réunis dans la présente incarnation de la « Terre », puis la séparation eut lieu, ayant permis à certains êtres très évolués par rapport aux humains de s’établir dans l’actuel soleil pour y continuer leur évolution, mais à un rythme beaucoup plus rapide que celui des êtres – humains entre autres – qui restèrent avec l’actuelle terre. Le soleil actuel a donc acquis l’état d’une étoile, à partir d’un état planétaire antérieur. Lorsque l’humanité atteindra le degré de perfection qui lui est imparti dans son évolution séparée du soleil, la terre se réunira alors au soleil, toujours dans la présente incarnation. Dans l’incarnation dite de Jupiter, une séparation de la terre et du soleil aura de nouveau lieu suivie d’une réunification, dans l’incarnation de Vénus, la terre restera en le soleil, et dans celle de Vulcain, la terre accédera à son tour à la dignité solaire: la dernière incarnation est donc la réunification de ce qui a été acquis sur le soleil, augmenté des résultats terrestres. Lorsque l’étape planétaire s’élève à l’état solaire, une étape ultérieure réside un la montée du tout en l’état dit zodiacal, état supérieur à l’état solaire ou stellaire. Steiner caractérise par l’Éternité tout ce qui est réuni, au zodiaque, par opposition au planétaire placé sous le signe du temps. Une parenthèse s’impose ici: le temps a été créé avec l’incarnation terrestre de Saturne. Bien qu’il soit contradictoire dans ce cas de parler d’un état « antérieur » – fait remarquer Steiner -, on commettant néanmoins cet abus de langage, notre évolution jusqu’à présent planétaire fut « précédée » par d’autres formes d’existence, liées à l’éternité, au durable. La première incarnation de notre terre – la première étape donc de son existence planétaire – advint par le « sacrifice » de certaines « forces » contenues dans le zodiaque à cette époque-là, forces zodiacales qui furent l’aboutissement d’une évolution planétaire, et qui se concentrèrent en quelque sorte en le premier état de notre terre.
Ce processus est un processus général: l’état zodiacal, aboutissement de l’évolution à partir de l’état planétaire et à travers l’état solaire ou stellaire, « sacrifie » une partie de ses forces, origine d’un nouvel état, planétaire à ses débuts. Et les forces zodiacales « pleuvent » constamment sur le système en formation, lequel tend quant à lui, à s’élever vers le zodiaque. L’Homme peut de ce fait être caractérisé comme un être receveur, devant à l’Univers qui l’entoure ce qui lui permet de vivre intérieurement. Mais l’Homme à son tour, peut donner une partie de lui-même: lorsqu’il sera parvenu dans son évolution à développer sa dernière composante spirituelle, l’homme-esprit, alors l’être qu’il sera devenu rayonnera, faisant passer quelque chose de l’état temporel à l’état éternel, durable. De nos jours, à l’opposé de l’Homme « planétaire » tendant vers le zodiaque par ce qu’il a et aura de plus élevé, il existe un être très évolué, dont les forces appartiennent au zodiaque, et qui se manifeste dans le planétaire par ses composantes les moins élevées. Il émane de lui l’élément vivant de tout l’Univers; c’est dans cet acte de sacrifice que cet être inscrit dans le zodiaque envoie ses forces vers l’Homme, rencontrant ainsi dans leur montée les aspirations rayonnantes humaines les plus élevées: cet être est le Christ.
Steiner présente encore une autre raison de la nécessité de l’incarnation: la compensation karmique, car les erreurs de l’Homme sont perçues par lui entre deux incarnations successives (donc entre la mort et la naissance), mais ne peuvent être corrigées que dans un corps physique. Remarquons que ce lien entre le karma et les incarnations n’est pas un lien absolu, la cause et l’effet pouvant exister dans une vie terrestre donnée. Abordons maintenant quelques précisions sur la vie dans le monde spirituel, c.à d. sur l’existence entre le mort et la nouvelle incarnation. Cette existence est d’abord une conséquence de l’existence terrestre, ces deux existences étant à considérer dans le rapport de cause à effet. Un but de la vie terrestre consiste à y développer un savoir sur le monde spirituel afin de l’apporter dans ce monde en question, car les êtres spirituels du monde supra-sensible ne peuvent que percevoir leur monde mais pas le comprendre. La vie terrestre est donc plus qu’un simple passage pour l’Homme, pour lequel le but n’est pas uniquement d’amasser des fruits de l’existence terrestre, mais d’envoyer dans le monde spirituel ce qui ne peut être acquis que sur Terre. Steiner précise que pendant l’existence terrestre, l’Homme doit s’efforcer d’examiner ce qui l’entoure pour en obtenir des réponses. Ce processus est inversé dans la vie après la mort: ce sont des êtres spirituels qui interrogent sans cesse le mort, et c’est en lui-même qu’il doit trouver des réponses à ces questions, car de l’aptitude à y répondre dépendra son évolution ultérieure conforme à l’idéal divin. L’action de l’Homme pendant sa vie terrestre intéresse également les morts, c.à d. ceux qui vivent dans les mondes spirituels entre leur décès et leur nouvelle naissance. Ces morts entourent constamment les vivants, mais ce n’est que le degré de conscience de ces derniers qui les en sépare; une grande importance est attribuée par Steiner à la connaissance de cette cohabitation pour l’avenir de l’Homme, les vivants ayant bien plus d’influence sur le mort que n’a le mort sur lui-même ou d’autres morts sur lui. Les morts ont besoin des vivants, car en l’absence de ses derniers ils ne pourraient regarder que leur propre vie écoulée. Mais ce n’est qu’un contenu spirituel qui donne aux pensées une réalité extérieure perçue par les morts; penser des lois chimiques p.ex. n’a aucun sens, ces lois n’ayant aucune signification pour le monde spirituel. Une des causes du manque de contacts de l’Homme avec les morts réside en sa vision dichotomique de son propre être, par laquelle il aperçoit deux images illusoires; d’une part son corps matérialisé d’une façon ahrimanienne, d’autre part son moi de tous les jours, sa vie personnelle terrestre, diluée d’une façon luciférienne. Comme il ne s’agit pas d’une réalité, il ne perçoit pas davantage une autre réalité, à savoir le monde abordé après la mort. Et c’est entre ces deux illusions que se trouve la vraie partie humaine non perçue. Ajoutons que les morts à leur tour ont une action sur les vivants. Steiner cite en exemple l’action d’un père décédé sur ses enfants, action du contenu de son âme, de ses espoirs concernant lesdits enfants: une telle influence d’un individu peut être bien plus efficace à l’état de mort qu’avant son décès. D’une façon plus générale, les pensées non travaillées des trépassés ne sont nullement perdues de par leur mort, mais peuvent pénétrer à nouveau dans le monde à travers les âmes des vivants, pensées devenues plus fortes car désincarnées en quelque sorte. Le monde des sens étant impénétrable aux morts, les vivants peuvent entrer en contact avec eux en se sensibilisant à ces pensées par une discipline de leurs propres pensées. Cela permet aux vivants d’être disponibles dans une attente d’éveil à laisser surgir du fond de leur âme les pensées en question. Et c’est précisément cet univers de pensées mouvantes qui est à l’origine de notre monde physique, qui n’en est donc qu’une sorte de condensation. Précisons que l' »initiation » a toujours été comprise comme une cohabitation avec le monde spirituel du vivant de l’initié, expérience que les non initiés ne font qu’après leur mort. L’observation de la vie entre la mort et la naissance est donc accessible à l’initié, pour lequel la naissance et la mort ne sont que des métamorphoses qu’il peut suivre d’une façon continue, à l’encontre de celui qui n’est doté que de ses sens physiques. Examinons à présent certains aspects du processus de l’incarnation. Deux courants convergent: la soif de s’incarner et la possibilité d’un corps approprié offerte par l’Univers. L’impulsion pour s’incarner, le sentiment d’être destiné à la vie terrestre, de retourner sans cesse sur Terre – seule possibilité d’évoluer positivement -, sont toujours dans le champ de conscience des morts. L’oubli de la Terre signifierait pour le mort l’oubli de son moi, et provoquerait un sentiment de peine extrême. En s’approchant du moment de l’incarnation, l’âme reçoit de plus en plus d’impressions des pensées et des sentiments des vivants, et, emplie d’impulsion vers la Terre, regarde dans l’âme des vivants. C’est également la période où la loi du karma se manifeste: les faits des vies antérieures deviennent conscients, et l’âme acquiert la tendance de la compensation karmique sur Terre, c.à d. du désir d’équilibrer son bilan des faits négatifs passés: les manquements réciproques entre les Hommes deviennent des forces tendant à les réunir sur Terre en vue de cette compensation.
Cette loi du karma peut se manifester également par une peur continuelle éprouvée par celui qui fut un parfait matérialiste dans l’existence terrestre antérieure, par celui pour lequel la seule réalité fut celle des sens. Et cette peur a pour objet une incarnation forcée par l’esprit et non pas accomplie par ses propres forces, une sorte de projection de l’âme dans un corps, une incarnation au cours de laquelle sera nié tout ce qui fut accepté pour réel dans l’incarnation antérieure. La marche vers l’incarnation est également caractérisée par le déploiement devant chaque individu du but des hiérarchies spirituelles, de l’idéal humain le plus sublime. Ces tendances que l’on pourrait qualifier de positives au sens de l’anthroposophie se croisent avec des tendances négatives, notamment certaines provenant de Lucifer: cette entité exerce sur l’Homme une force ayant un caractère culminant dans sa tentation à lui insuffler le désir de rester dans le monde spirituel, de ne plus s’incarner et d’évoluer dans ces mondes avec toutes ses imperfections, donc à le faire sortir de la voie positive passant par des existences terrestres conformes à l’idéal divin. La vie, aussi bien entre la mort et la naissance qu’entre la naissance et la mort, est donc présentée par l’anthroposophie comme un canevas de forces normales, rétrogrades et karmiques entre autres, courants qui débouchent p.ex. sur la biographie d’un individu: celle-là est par conséquent tout autre chose que la résultante du hasard, et les faits biographiques ne relèvent pas d’une sorte de génération spontanée, mais s’insèrent dans un ensemble de forces spirituelles parfaitement structurées:  une vie est préparée dans le monde spirituel par le moi supérieur de l’Homme, son vrai moi, vie qui peut même être un tourment continuel pour l’individu terrestre, donc pour son moi inférieur.