La Réforme

Signes précurseurs.
La Réforme dite protestante, constitue à elle seule un changement profond dans notre évolution, un impact tel que notre Histoire n’en a pas connu depuis la naissance du christianisme.
La pensée dominante, le mainstream, prend toujours, et à tort, la Réforme, certes comme un fait non négligeable, mais d’importance mineure.
Une profonde aspiration au changement généralisée, se manifeste sous de multiples formes.
Fait nouveau dans l’Histoire, des cités de plus en plus nombreuses demandent des « franchises ». La plus importante, la Grande Charte (1215) stipule les garanties octroyées par le roi d’Angleterre à tout son royaume.. Les corporations également en obtiennent, d’où les « francs » maçons.
Peu après, diverses réformes ponctuelles sont tentées, en religion, par les Franciscains (1431), les Carmes (1452), etc. C’est que parmi les laïcs, la mystique prend un formidable essor. En Belgique, aux Pays-Bas, en Rhénanie, … les béguines et les bégards auraient atteint le chiffre de 150.000 d’après une lettre adressée à l’évêque de Strasbourg.

Remous dans les Eglises
En Angleterre, Wyclif (1320-1384) appelle au réveil religieux, dénonce la corruption du clergé et va jusqu’à nier des dogmes jugés essentiels. En outre, il aura initié la première traduction de la Bible en anglais.
Les humanistes, dont l’un des plus connus est Erasme de Rotterdam (1469-1536) vont trouver là un terreau préparé. En sus, ils s’inspirent des écrits de l’Antiquité pour définir et promouvoir une « anthropologie nouvelle », optimiste, confiante, qui exalte la grandeur de l’homme et le dit capable de faire progresser le monde, un concept totalement inédit.
Séisme au tréfonds de l’humain.
L’idée d’une foi en Dieu fondée sur la seule raison n’est donc pas si neuve au temps de René Descartes (1596-1650), penseur resté délibérément croyant toute sa vie. Ce n’est pas ce que laisse entendre la pensée positiviste et scientiste, et l’on peut en dire autant de Charles Darwin (1809-1882).
Ce qui distingue Descartes, c’est qu’il cristallise l’audace de la pensée : « Je pense… » fait plus important que « donc je suis » : en effet, jusqu’à la fin du Moyen-Age, il était courant de dire : il m’est avis que … équivalent de l’anglais « methinks » (notez l’impersonnel « il »).
Donc à présent, l’homme des humanistes se reconnaît doté d’une conscience lucide, ayant gagné en assurance, il a confiance en lui-même, en son propre jugement. Il revendique l’accès direct à la Bible, le droit au « libre examen » des Ecritures. Martin Luther l’a bien compris, qui a fait une traduction intégrale de la Bible, imprimée par Gutenberg (1555). En conséquence, par obéissance à l’Evangile, les réformés refusent de porter les armes, de baptiser les enfants en bas âge, etc. Ce qui crée bien entendu des bouleversements sociaux.
Aussi, sans tarder, les autorités religieuses et politiques ont recours à la répression : excommunications, bûchers (Jan Hus brûlé en 1415, Jérôme de Prague en 1416), exécutions sommaires (en 1529, Charles-Quint signe l’édit de Spire qui recommande d’exécuter les anabaptistes « sans enquête préalable ». Voir Jacques Légeret. L’énigme Amish, éd. Labor et Fides).
Le Concile de Trente (1545-1563) ignore souverainement la multitude de croyants qui aspirent à de profondes réformes. Le Concile a pour objectif principal le maintien et la consolidation du statu quo. En même temps que les autorités politiques, il fait preuve de l’ignorance crasse des évolutions, des mutations qui se préparaient depuis au moins deux siècles, au tréfonds de la nature humaine.
Effectivement, des chrétiens de plus en plus nombreux se reconnaissent dotés d’une conscience intangible, leur guide et leur juge, l’instance ultime capable de décider des questions de leur foi et de la conduite de leur vie.
Le drame qui s’engage en cette occurrence, c’est la lutte pour la liberté de la conscience, lutte qui progresse inéluctablement, mais n’est toujours pas arrivée à son terme : des pouvoirs abusifs s’exercent de tous cotés, jusqu’à nos jours.
Conscience et acte responsable.
En fonction de l’évolution des consciences, la valeur morale de l’acte humain doit être examinée sous un nouvel éclairage : il ne s’agit de rien d’autre que de redéfinir les critères de moralité de l’acte humain.
Pendant des siècles, il était communément admis que l’obéissance quasi automatique à une autorité allait de soi, sans considération aucune pour l’implication personnelle, ni les dispositions subjectives de l’exécutant : celui-ci ne pouvait donc être tenu pour responsable des conséquences de son acte. La justice ne pouvait accuser que le donneur d’ordre. Cette situation s’est mise à changer depuis la Réforme. Mais dans certains milieux, les Armées, les Eglises, … le sujet, soldat ou croyant, est censé obéir sans (se) poser de question. Ce principe est exprimé dans les statuts de la Compagnie de Jésus de façon lapidaire depuis sa fondation : l’obéissance « cadavérique » (perinde ac si cadaver esses: Obéis comme si tu étais un cadavre). De même dans l’Armée, le soldat qui obéit à son chef ne peut être, logiquement, inculpé pour les conséquences de ses actes, selon ce principe de l’obéissance).
Constatons cependant que cette logique déjà refusée par les premiers réformateurs dès le XVème siècle, se trouve de plus en plus fortement mise en question.
En théologie catholique, Thomas d’Aquin (1225-1274) le premier a clairement défini les deux qualités nécessaires et suffisantes pour qu’un acte soit moral, pleinement responsable : « le savoir et le vouloir ».
1. – Savoir : signifie connaître tous les éléments, toutes les informations permettant d’agir en connaissance de cause, avant de décider.
2. – Vouloir : c’est décider en toute liberté d’esprit, sans subir aucune contrainte, aucune pression, ni physique, ni morale, qui diminuerait ou même supprimerait la valeur de l’acte. Un acte moral ne saurait être accompli que librement.