L’évolution du pouvoir bancaire jusqu’à nos jours.

Tout le monde à présent, y compris les plus éminents responsables, reconnaît enfin que nous entrons dans une crise d’une ampleur et d’une complexité inédites, crise qui sévit d’ores et déjà dans le secteur bancaire et financier. Pour comprendre le fonctionnement de ce « système », dit économie de marché, et pour en évaluer l’éthique, une clé nous est fournie, dans un premier temps, si nous prenons connaissance du développement historique du pouvoir bancaire. (1)

En 1519, la première banque moderne, fondée par les Frères Fugger à Augsbourg, leur permet de verser 540.000 florins aux princes électeurs et achètent ainsi l’élection de Charles-Quint face à François ler. 1694 : Après une longue série d’emprunts, la Couronne Britannique a un besoin urgent de 1.200.00 Livres sterling, qu’un groupement de banquiers prête à 8% d’intérêts, mais oblige la Couronne à concéder à ces banquiers par charte royale « un immense privilège » : le droit de créer de la monnaie. La charte devait expirer avec le remboursement de la dette. L’une et l’autre ont toujours été reconduites… (Ainsi, la Banque d’Angleterre est une entité strictement privée).
1863 : « Le triomphe de la banque et du papier » s’affiche clairement au XIX ème siècle. En témoigne une lettre des Frères Rotschild adressée le 25 juin 1863 à Mrs. Ikelheimer et Co, 3,Wall Street, New-York : « La grande masse du peuple, intellectuellement incapable de comprendre les formidables avantages que le capital tire du système, portera son fardeau sans se plaindre et peut-être sans s’imaginer que le système est contraire à ses intérêts ». (2)
De fait, la nature du crédit, le pouvoir de celui qui le concède, place l’emprunteur en position de sujétion, soumis à des « obligations ». L’exemple suivant nous en donne une illustration.
1928 : Thomas Edison revient d’une inspection de la centrale électrique de Shoals, dont l’achèvement va coûter 30 millions $ ; interviewé par le New-York Times, il explique : « Si l’argent pour ces travaux était émis par la Nation, ce serait une solution qui éviterait de faire un emprunt auprès des banques. La somme requise serait émise directement par le gouvernement, comme toute monnaie doit l’être… Ainsi le peuple des Etats-Unis recevrait (en salaires, etc.) tout ce qu’il aura mis dans cette centrale… sans augmenter la dette nationale. -Sinon, le Congrès devra autoriser une émission d’obligations, aller chez les préteurs et emprunter de notre propre monnaie nationale… C’est stupide que pour le prêt de notre propre argent, le peuple soit obligé de payer 66 millions $, intérêts compris. »
Une telle opération n’a jamais pu se faire, pour la bonne raison que la Banque, entité privée, jouit seule du droit exorbitant de créer de la monnaie.
Th. Edison poursuit : « Des gens qui n’ont pas levé une seule pelletée de terre vont ramasser plus d’argent des Etats-Unis que le peuple qui a fourni travail et matériaux. C’est ce qui est terrible avec l’intérêt, toujours plus gros que le capital. Il est absurde de dire que notre pays peut émettre 30 millions en obligations et pas 30 millions en monnaie…. L’un engraisse les usuriers, l’autre aiderait le peuple. » (3)
Des esprits avertis ont prévu, ou du moins pressenti, dans quel sens et avec quel mépris de l’homme, l’économie allait acquérir un pouvoir quasiment irrésistible. Et il est clair que la crise présente se préparait de longue date. Ainsi Pie XI, pape de 1922 à 1939, déclarait : « Ceux qui contrôlent l’argent et le crédit sont devenus les maîtres du monde. Sans leur consentement, nul ne peut respirer ».
La deuxième clé dont nous avons besoin se trouve dans le processus de la « création » de la monnaie (qu’il ne faudra pas confondre avec l’impression des billets de banque). L’histoire des Temps modernes montre en effet que ce n’est pas l’Etat qui crée la monnaie. Ce sont les banques, qui n’ont de « national » ou de « central » que le nom et qui demeurent plus que jamais des entités privées, exerçant un pouvoir régalien, i.e. souverain, qui n’émane aucunement du peuple. Exemple récent : Si la Banque Centrale Européenne décide ou non de modifier les taux d’intérêts, aucun Etat, aucun gouvernement ne peut l’y obliger.
Quant à la création de la monnaie, posons donc la question à Monsieur le banquier.:
– « Monsieur, vous venez de me prêter 100.000 euro. Vous m’avez ouvert un compte à votre banque. Je peux en disposer, à charge pour moi de tout rembourser le moment venu, avec les intérêts. Avez-vous à présent moins d’argent dans votre caisse ?
– Non, ma caisse n’a pas bougé.
– Mais, vos comptes ont diminué …
– Ils n’ont pas diminué du tout.
– Alors ce sont les comptes des épargnants qui ont diminué (?)
– Rien n’a diminué.
– Mais d’où vient l’argent que vous me prêtez ?
– Il vient de nulle part.
– Où était-il au moment où je suis entré ?
– Nulle part. Il n’existait pas.
– Si je comprends bien, il vient de venir au monde.
– Exactement.
– Et qui l’a mis au monde ? Comment ?
– C’est moi … en tapant sur le clavier de mon ordinateur, en écrivant 100.000 euro à votre crédit. – Alors, c’est vous qui faites l’argent ?
– Assurément. La banque fait l’argent en chiffres, l’argent moderne, chaque fois qu’elle prête aux particuliers, aux entreprises, aux Etats… Cela s’appelle le droit d’émettre du crédit. »
Or, l’argent ainsi créé par le banquier continuera bien d’exister. Comment ? L’argent emprunté, mon crédit, je le dépense en salaires dans mon entreprise, en cotisations sociales, etc. Les salariés vont le dépenser à leur tour. Il va fructifier ; avec les fruits du travail, avec les bénéfices de l’entreprise, je vais rembourser à ma banque les sommes empruntées plus les intérêts, sommes que la banque pourra réutiliser et qui augmenteront d’autant la masse monétaire globale.
Un élément déterminant de la situation actuelle remonte à 1971, quand l’étalon-or a été définitivement supprimé par Richard Nixon. Dès lors aucune monnaie n’est plus reliée à une quelconque équivalence matérielle. Et toutes les opérations avec « l’argent moderne », virtuel, se réduisent à de simples « jeux d’écriture ». De ce fait, toute la valeur de cet argent réside uniquement dans la confiance réciproque des acteurs, y compris les usagers que nous sommes.
Mais cela permet également aux banques de prêter un argent « fou » sans toucher à leurs fonds propres, leurs liquidités. Certaines ont ainsi prêté jusqu’à quarante fois le montant de leurs avoirs. (Le rapport entre leurs fonds et les sommes prêtées se dit coefficient de liquidité)
Notons enfin que le droit d’émettre du crédit, le traité de Maastricht l’interdit aux Etats pour le réserver strictement aux établissements bancaires (article 104, confirmé par le traité de Lisbonne, art.III, 181§1).
La question essentielle et urgente : quels remèdes apporter ?
Des deux côtés de l’Atlantique, tout ce que les Etats peuvent faire, c’est de « garantir » certains montants aux banques en difficulté, pour susciter la confiance perdue.
Est-suffisant ? Non, car la crise s’exerce dans tous les secteurs de la vie sociale. Ce qui s’impose, c’est « changer de.cap ».(4)
Jean Ziegler le voit bien et le dit brutalement : « Comment contraindre le nouvel ordre du capitalisme mondialisé à cesser & soumettre le monde•entier à sa domination meurtrière ? ».(5) Ph. Leconte, moins agressif, pose la question : « L’argent fou nous gouvernera-t-il toujours ? ».(6) Son éditorial ne donne qu’une réponse partielle, certes, mais qui a le grand mérite d’être concrète : les activités et les objectifs de la NEF (7). L’argent doit être « un permis de produire, un permis d’investir, un permis de créer … L’argent doit relier les hommes … Le soin du lien d’argent est l’antidote à la folie de la finance. Par la culture du lien, on renonce au mythe libéral de l’égoïsme généralisé, censé faire le bonheur de tous…. »

(1) La question du pouvoir bancaire est traitée largement par Ph. Derudder et A.-J. Holbecq dans leur ouvrage : Les 10 plus gros mensonges sur l’économie, Editions Dangles.
(2) Ibid. p.31.
(3) Ibid. p.81.
(4) Hubert Védrine, Le Monde du 6 nov.2008. Il n’envisage que la « régulation » du capitalisme. Bernard Perret, économiste, va plus loin en se demandant comment « refonder » le capitalisme. Voir la Croix du 5 nov.2008, p.27.
(5) J. Ziegler, in La Haine de l’Occident, 4ème page de couverture.
(6) V.Vif-Argent n°48, bulletin de la NEF, 114 Bd du 11 novembre 1918 69626 Villeurbanne Cedex. www.lanef.com
(7) Ibidem.